Make war, love is stupid...

Je fixais, horrifiée, la flaque de sang sur le sol. Au milieu de cette flaque, il y avait le corps de Takyen. Takyen, mon meilleur ami.
Ses grandes plumes brunes trempaient dans le sang qui coulait de sa gorge. Ses yeux jaunes, grand ouverts, fixaient le vide sans le voir. Et pourtant, il conservait sur son visage cet air de défi, cet air qu'il avait toujours aimé, et le dernier dessiné sur son visage. La large blessure au niveau de sa gorge avait dû lui provoquer une mort immédiate. Il n'avait pas souffert.
Après avoir pris une grande inspiration, je me relevais et me dirigeais d'un pas tremblant vers le corps inanimé de l'aigle royal qui avait été mon ami. Chacun de mes pas produisait un bruit de succion immonde. Le sang avait imprégné la terre, qui se transformait peu à peu en boue rouge écarlate. Arrivée au niveau du corps de Takyen, je passais doucement mon bec sur ses yeux pour les fermer, et j'enfouis ma tête dans son cou. En faisant cela, je tachais mon visage de sang, de son sang, mais je m'en fichais. L'odeur du sang et de la mort, répugnantes, ne parvenaient pas à effacer l'odeur de ses tueurs. Je relevais difficilement la tête et tendis une de mes pattes avant. D'un coup de bec, j'y provoquais une large blessure, dont le sang commençait à couler. Je frottais mon visage contre la blessure, pour mêler mon sang au sien. Une fois cela fait, je fixais la gorge ouverte de mon défunt ami, et je dis, à voix haute :

" Je te jure, Takyen, que je te vengerais. Eux aussi, ils mourront pour t'avoir tué. Compte là-dessus. "

Et, après ces mots, je fis volte-face et m'envolais. Je devais donner l'impression de sortir d'un lac de sang, mais je m'en fichais. Il fallait que je retrouve ses tueurs.

Et voilà, c'était terminé. Je m'étais jetée sur le lion et le tigre qui marchaient, côte à côte, et je les avais tués. L'un était mort la nuque brisée par un sabot, et l'autre avait perdu la vie la gorge arrachée. Je baissais les yeux pour contempler le sang coulait sur mes serres, celles de ma patte droite. Sur cette patte, on pouvait voir une large cicatrice, causée par un coup de bec. Je regardais, avec jubilation, le sang qui coulait de cette patte dans laquelle vivait encore une infime partie de Takyen. J'avais mis des dizaines d'années, mais je les avais retrouvés. Et j'avais tenu ma promesse. 


Toute la scène s'était passée presque sans bruits. Le lion Sishi et le tigre Tora marchaient tranquillement, conversant sous les arbres. Une ombre soudaine leur avait cachée la lueur du soleil. Un sabot s'était abattu sur la nuque du tigre, le tuant sur le coup. Le lion s'était brusquement retourné, juste à temps pour voir des serres tranchantes fondre sur sa gorge et lui arracher sa trachée. Il était tombé à la renverse et avait pu apercevoir l'hippogriffe qui se tenait devant lui, imposant sa puissance. Il avait émis un gargouillement et était mort. La dernière image qu'il avait vu, juste avant de mourir, était la petite hippogriffe qui se tenait devant l'aigle qu'ils avaient tués, son ami et lui. Ils l'avaient fait pour s'amuser, pour montrer leur puissance. Ils avaient décidé d'épargner la vie de la petite qu'ils avaient observé après être revenus sur les lieux. Mais elle, elle les avait retrouvés. Et venait de les tuer.

Après avoir tenu ma promesse, je m'étais envolée sans un regard pour les deux bêtes gisant au sol. Je m'étais dirigée vers le nid que j'avais construit au pied d'un arbre immense, où je m'étais reposée.
Depuis, je survole souvent les alentours, passant d'île en île et surveillant les peuples vivant sur chacune d'elles.